Abstract

Traditionnellement culture industrielle des paysans de la Sous-Préfecture de Fronan dans la Région du Hambol en Côte d’ivoire, le coton a désormais fait la place à la culture de l’anacardier. Les paysans tagbanan de cette localité ont abandonné l’agriculture cotonnière au profit de celle de l’anacarde. La présente étude examine les facteurs qui ont milité en faveur du basculement des paysans. Il s’agit de connaitre les causes de l’expansion de la culture de l’anacarde sachant qu’elle n’a pas bénéficié d’une stratégie de vulgarisation et surtout ne bénéficie pas d’un encadrement de proximité à l’image du coton. Les données ont été collectées au moyen de guides d’entretien avec les anciens acteurs de la filière coton notamment les anciens responsables de GVC et des anciens cultivateurs de coton, les planteurs d’anacarde. Ces informations ont été complétées par une observation du terrain et l’exploitation de la documentation relative à la question. Il en ressort que les facteurs qui ont favorisé le dynamisme de la culture de la noix de cajou à Fronan sont nombreuses. L’étude relève d’une part des raisons économiques et structurelles. Elles sont relatives aux difficultés de la filière cotonnière dans les années 1980. Elle note également que des prédispositions sociales et psychologiques favorisées par les investissements de planteurs de café et de cacao de retour au village ont influencé leur choix. Ainsi, en procédant par comparaison avec la culture de coton, les agriculteurs d’anacarde ont trouvé cette dernière plus avantageuse et plus rentable.

Mots clés : Agriculture, économie de plantation, coton ; anacarde, Fronan, Hambol

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Introduction

Le développement de la région septentrionale de la Côte d’Ivoire grâce à la volonté politique qui a consisté à y promouvoir l’agriculture du coton. Cette partie du pays connait ces dernières années une agriculture de plantation qui est basée sur l’anacardier. Ces deux spéculations se pratiquent par les mêmes acteurs et sur les mêmes espaces. Cependant, la culture du coton de par son ancrage, fait partie de l’histoire des peuples de cette région. En effet, la culture du coton en Côte d’Ivoire est très ancienne. On la situe vers les années 1880 ((Hau, 1988) mais, il faut remonter à la période coloniale pour voir le développement de cette culture agricole. La filière coton a connu une restructuration avec la création en 1946 de l’Institut de Recherche du Coton et des Textiles Exotiques (IRCT) qui avait en charge la recherche et l’expérimentation et en 1949 de celle de la Compagnie Française de Développement des Fibres Textiles (CFDT) responsable du volet vulgarisation de la culture. Les Ets. Robert Gonfreville (ERG) assurait l’égrenage, la commercialisation et l’industrie textile. Une caisse de stabilisation fixait les prix de campagne de façon à encourager la production (Cavana, 2002 et Clouvel, et al, 2007). Après les indépendances en 1960, cette culture connait un nouvel dynamisme. En effet, dans sa politique de diversification agricole, le gouvernement ivoirien a mis un accent particulier sur la vulgarisation de la culture du coton dans la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire. Cette région devient ainsi le bassin cotonnier du pays. En effet, grâce au rachat de toutes les entreprises privées d’égrenage par la CFTD et l’intensification du système de production à travers la fertilisation et le traitement d’insecticides, la production du coton connait une courbe ascendante. La Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Fibres Textile (CIDT) va remplacer la CFDT en 1974 (Cavana, 2002). La crise de la fin des années 1980 va mettre un bémol à cette embellie. Les difficultés sont d’ordre structurel. Cela a conduit à la privatisation de la filière coton qui a consisté au démantèlement de la CIDT puis récemment au zonage agro industrielle du bassin cotonnier ivoirien (Koffi, 2013 cité par Koffi et Ouattara, 2020).

Quant à la culture de l’anacardier, son développement est relativement récent. Elle a connu un boom dans le bassin cotonnier à la suite de la crise dans cette filière. (Ruf, Koné et Bebo, 2019 etBasset, 2017). Avant l’indépendance et au début des années 1960, cette plante était utilisée pour lutter contre l’avancée du désert. Elle avait donc une valeur écologique. Selon Konan et Ricau « l’anacardier, implanté dans le pays par des programmes de reforestation en raison de sa croissance rapide et de sa rusticité, n’était jusqu’au début des années 1990 exploité que pour son bois » (Konan et Ricau, 2010). La Société de Développement des Forêts (SODEFOR) a fait la promotion de l’anacardier dans l’optique de renforcer le couvert végétal des forêts classées mais également pour la préservation des sols (Sama et Koné, 2002 cité par Basset 2017). La prise de conscience de la valeur économique de cette culture se situe autour de la fin des années 1960 (Basset, 2017). Ainsi, des structures telles que la Société de Valorisation de l’Anacardier du Nord (SOVANORD) pour la maîtrise de l’itinéraire technique de production et l’Anacarde Industrie de Côte d’Ivoire (AICI) destinée à la valorisation de la noix de cajou ainsi que sa transformation locale sont mises en place par l’Etat ivoirien respectivement en 1972 et 1975 (N’da, 2018). Malgré tous ces efforts d’investissement, la culture de la noix de cajou n’a pas connu de succès auprès de paysans en comparaison avec le coton. Il faut attendre autour des années 1990 et 2000 pour voir un véritable engouement pour cette spéculation agricole. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire se classe parmi les grands pays producteurs de noix brutes de cajou avec une production qui est passée de 51.000 tonnes en 1997 (Rey, 1998), à 235000 tonnes en 2006 puis à 761000 tonnes en 2018 (FIRCA, 2018)

Compte tenu du fait que ces deux types d’agriculture partagent les mêmes spécificités en ce qui concerne l’espace et les acteurs, l’Etat de Côte d’Ivoire décide de faire la promotion du binôme coton-anacarde. Il va organiser la filière avec la création l’Autorité de Régulation du Coton Anacarde (ARECA). Puis, dans le cadre des reformes de ces deux filières, le décret 2013-681 du 02 octobre 2013 va créer le Conseil Coton-Anacarde (CCA) dans la mise en place et le suivi de ces deux filières (FIRCA, 2018).

Actuellement, l’anacarde est devenu l’une des principales cultures de rente des régions de savane supplantant la culture du coton par endroit notamment dans la région du hambol (Koffi et Oura, 2019 et Sinan et N,dri, 2016). Au contraire de la culture du coton qui a jouit d’un encadrement de proximité depuis son introduction dans cette région, celle de l’anacarde s’est développée de façon spontanée. Cet engouement auprès des producteurs en général et ceux de Fronan en particulier suscite qu’on comprenne les facteurs qui ont milité en sa faveur.

En fait, la culture du coton a connu des moments glorieux dans ce village. Du point de vue de la technologie agricole, cette culture a favorisé le transfert et l’adoption de nombreuses innovations techniques agricoles dans ce milieu rural. A l’instar de tout le bassin cotonnier, les paysans ont découvert les blocs de cultures, les intrants chimiques, les semences sélectionnées, la culture attelée promus par la CIDT. Sur le plan économique, le village s’est développé avec les projets d’hydrauliques villageoise, l’ouverture et l’entretien des pistes rural, l’amélioration des conditions de vie grâce aux revenus tiré de la vente de la production. Pourtant, la culture du coton à quasiment disparu des cultures agricoles industrielles des paysans de Fronan. Les quelques rares planteurs qui s’y adonnent encore sont des migrants allochtones venus du nord du pays à la recherche de terres plus fertiles (Koff et Oura, 2019).

Au regard de cette mutation radicale de la pratique agricole dans cette zone, il apparait opportun de connaitre et de comprendre les facteurs et les motivations qui ont sous-tendu ce choix des paysans tagbanan de Fronan au profit de l’anacarde et au détriment de la culture de coton. La culture du coton a été pratiquée durant de nombreuses décennies et était ancrée dans les habitudes sociales de ce peuple. Comment la culture de l’anacardier a pu s’imposer sur un territoire qui faisait partie du bassin cotonnier de la Côte d’Ivoire lorsqu’on sait que cette dernière bénéficiait d’un encadrement de proximité ainsi que la fourniture d’intrants agricoles de bonnes qualités? Plusieurs raisons notamment économiques peuvent justifier ce comportement des agriculteurs mais elles ne sont pas les seules causes explicatives de ce changement. Quels sont les déterminants socio-culturels qui ont prévalu au choix des agriculteurs ?

Methodologie

A travers une étude purement qualitative à visé compréhensive, cet article a pour objet d’apporter des réponses aux interrogations ci-dessus. Elle s’est déroulée à Fronan dans la Sous-Préfecture du même nom. Cette localité est située dans la région du Hambol et est administrativement rattachée au département de Katiola. L’étude s’est fondée sur une collecte de données de terrain qui s’est faite en plusieurs phases entre 2017 et 2021. Le recueil d’information s’est fait au moyen d’entretiens semis directifs réalisés avec les acteurs concernés. Il s’agit des anciens cultivateurs de coton devenus des planteurs d’anacarde, de leurs descendants ainsi qu’avec des ex-dirigeants des Groupements à Vocation Coopérative (GVC) de Fronan. Des entretiens ont été également réalisés avec les responsables du Conseil Coton Anacarde de Katiola, ceux de la Compagnie Ivoirienne de Coton (COIC) à la Direction Régionale de Korhogo et à la Zone de Niakara. Ces collectes l’ont été grâce à des guides d’entretien. Les données collectées ont été étayées avec des observations effectuées lors des visites de terrain et par une documentation relative à la problématique. Toutes ces données de l’étude ont été traitées manuellement.

Resultats

L’adoption de la culture de l’anacarde par les agriculteurs de Fronan s’est faite progressivement. Les anciens producteurs de coton reconvertis en producteurs d’anacarde n’ont pas abandonné le coton de façon brusque. Ils ont pratiqué les deux cultures simultanément durant un certain moment avant d’opter définitivement pour l’anacardier. Ainsi, le choix ne s’est pas fait spontanément. Les paysans ont observé un temps qui leur a permis de voir l’avantage de la culture de l’anacarde par rapport à celle du coton. Voici ce qu’en dit un ancien producteur.

« Lorsque j’ai connu l’anacarde, je cultivais déjà le coton. J’ai pratiqué les deux cultures. Mais, j’ai remarqué que l’anacarde avait beaucoup de bénéfice. »

Dans un premier temps, c’est la stratégie de diversification des cultures qui a motivé l’adoption de l’anacardier par les agriculteurs. Les contraintes inhérentes à la pratique des deux types de cultures ont amené ces derniers à faire un choix. Le bénéfice dont parle l’enquêté est lié aux investissements faits pour chacune de ces cultures et les avantages pécuniaires qu’il en retire. En comparant les efforts fournis pour la production des deux cultures, les paysans ont conclu que la culture de l’anacardier était plus rentable. Ainsi, au bout d’un certain temps, ils ont décidé d’abandonner progressivement le coton au profit de la noix de cajou. Ainsi donc, si les agriculteurs de Fronan ont adopté cette culture, c’était dans le but de varier leurs sources de revenus. Il faut noter que cela s’est fait dans un contexte où la filière coton était en difficulté (Basset, 2002).

Comme on peut le voir, ce sont des facteurs économiques qui justifient le choix de l’anacarde par les paysans de Fronan. Cependant, si au début ceux-ci étaient mus par le souci de diversifier leurs revenus agricoles, certaines autres raisons, notamment structurelles ont favorisé l’adoption de cette culture.

Le facteur économique n’est pas le seul élément qui a favorisé le développement de la culture de la noix de cajou à Fronan. Cette culture a bénéficié également d’un contexte structurel lié à la gestion des Groupements à Vocation Coopérative (GVC). Il y a une crise de confiance entre les responsables des coopératives et les producteurs. Leur mode de gestion est de plus en plus contesté. Les coopérateurs soupçonnent les responsables des GVC d’être complices de la CIDT pour les exploiter. Certains affirment que ceux-ci détournent les financements que cette structure leur destine pour leur enrichissement personnel. D’autres pensent que les agents des GVC qui sont affectés au pesage de la production de coton dans les campements manipulent la masse de leurs productions pour s’en approprier. Tous ces soupçons sont à mettre au compte de la mauvaise gouvernance de ces organisations paysannes. Cela est corroboré par les propos de cet enquêté qui était un ancien agent de pesage du GVC d’Offiakaha :

« Lorsqu’on partait peser le coton de nos parents, ils nous accusaient de faire des coupes sur leur production pour les mettre sur les nôtres puisque nous étions aussi des cultivateurs de coton. Ils disaient que si leur production était de second choix, c’est parce qu’on s’entendait avec la CIDT pour partager l’argent. En réalité, ce n’était pas nous qui déterminions la qualité du coton. Nous on se contentait de peser, de charger les camions pour les acheminer vers les usines. Ce sont les usiniers que mesurait la qualité de la production. Mais, nous parents refusaient de comprendre cela »

En plus de la méconnaissance du fonctionnement du marché et de la formation de prix d’achat, certains agriculteurs font une comparaison avec l’époque d’avant la création des GVC. A cette époque, les producteurs recevaient immédiatement leur argent le même jour de l’enlèvement de la production et au champ. Ce qui n’est pas le cas avec l’avènement des GVC. La production est enlever et la paie se fait des jours voire des semaines plus tard. Cette façon de faire était appelée la décade. L’enlèvement de la production se fait par intervalle de dix jours. La rétribution se fait selon le même principe. Cette situation est également nourrie par une mauvaise conjoncture du marché international qui a conduit à la baisse des cours mondiaux, le temps entre l’enlèvement de la production et le paiement devient de plus en plus long. Ces facteurs conjoncturels sont tels que les planteurs ont l’impression d’être volés et d’être floué par un système qu’ils ne maîtrisent pas. Par exemple, en ce qui concerne les intrants agricoles la semence, les engrais, les produits phytosanitaires et les herbicides notamment, de nombreux paysans pensaient qu’ils leurs étaient fournis gracieusement par l’Etat via la CIDT. Ils ignoraient que ces produits qu’ils utilisaient dans les champs n’étaient pas des dons et que leurs coûts étaient défalqués de leurs revenus après la vente de la production. Ceux-ci étaient certes subventionnés mais, les paysans devaient payer leur part de contribution. Lorsque la CIDT par retranchait cette part de leurs gains, cela provoquaient des mécontentements. Les paysans pensaient que les dirigeants des GVC étaient à la base de cette situation. Compte tenu du fait que les productions étaient faibles à cause des aléas climatiques, les revenus s’en trouvait fortement impactés.

En dehors des problèmes suscités qui sont indépendants de la volonté des cultivateurs, il y a des contraintes liées à la production même du coton graine. Il s’agit de la pénibilité des travaux inhérents à la culture du coton. En effet, cette culture se fait sur des billons. Cette technique culturale peut se faire au moyen de machines agricoles, de bœufs attelés ou de façon manuelle. La mécanisation et la culture semi mécanisée en attelage n’a jamais prospérée à Fronan malgré la volonté des conseillers agricoles et des structures d’encadrement. Pour ce faire, tout le circuit de production du coton était manuel de la préparation des sols jusqu’à la récolte. Cela demandait beaucoup de force de production. La question de la main d’œuvre était difficile à résoudre et la culture du coton était très contraignante en termes d’énergie et de temps de travail. Eu égard au fait que la culture n’est pas mécanisée, tous les travaux se font au moyen de la force des bras humains. De la préparation des sols (nettoyage et confection des billons) à la récolte en passant par l’entretien des plantations l’agriculteur avait besoin de beaucoup de personnes sur son exploitation. Le désherbage, l’épandage des intrants (engrais et insecticides) et la récolte de la production étaient autant d’étapes qui exigeaient de la main d’œuvre.

A côte des problèmes structurels et de la main d’œuvre, il faut noter la pénibilité des travaux, l’aspect du calendrier agricole en rapport avec le climat. En effet, la récolte du coton à Fronan a lieu entre les mois de décembre et celui de février. C’est la période de l’harmatan. Il fait très froid la nuit et très chaud et sec dans la journée. Cette saison sèche pose également le problème d’approvisionnement en eau de consommation des ménages dans les champs.

« La culture du coton était difficile si tu n’avais pas des gens pour t’aider au champ. On mettait beaucoup de temps pour récolter la production. Le soleil de la saison sèche et surtout le problème de l’eau nous fatiguait. L a difficulté dans tout cela c’était que chaque année, on devait recommencer les mêmes travaux sinon, on n’avait rien »

La question du renouvellement annuel des champs est soulevée dans les propos ci-dessus. La culture du coton est une culture annuelle. Cela veut dire que les espaces de culture sont à renouveler chaque année. Un cas de maladie pouvait empêcher un paysan d’avoir des revenus. Ce qui n’est pas le cas avec les plantations de la culture de l’anacarde. Contrairement au cotonnier, la culture de l’anacardier est pérenne. Ce qui signifie qu’en dehors des travaux d’entretien, les planteurs n’ont pas à reprendre leurs exploitations.

Une autre contrainte en rapport avec le calendrier agricole est que dans la zone de Fronan, la nourriture de base est le maïs et à un degré moindre l’igname. Le maïs se fait en deux cycles par an. La récolte du premier cycle de maïs et le début du second coïncidaient avec le début des travaux de la culture du coton. Or, ce sont les mêmes espaces qui sont utilisés pour produire cette dernière. Donc, pendant qu’ils récoltent le maïs, ils doivent faire les travaux relatifs au coton. Ce qui rend difficile la gestion du temps. En effet, les conseillers agricoles indiquent les périodes favorables aux semis du coton. Passé ce moment, ils ne fournissent plus de semence aux retardataires qui ont l’intention de faire du coton. Selon eux, la qualité du coton graine serait impactée s’ils permettent aux paysans de faire des champs en dehors des délais prescrits. On assiste donc à une superposition des calendriers agricoles qui met les paysans dans une situation intenable. Ils sont dans l’obligation de faire un arbitrage. Entre le maïs, culture vivrière qui est destinée à la consommation du ménage et le coton, culture industrielle qui permet d’avoir des revenus substantiels pour les besoins de la famille que faut-il choisir ? Au final, on aboutit à une option où le paysan fait un peu de coton et un peu de maïs. Il vit donc dans une incertitude permanente. Car en effet, il n’est pas évident que la production de maïs couvre ses besoins annuels de nourriture. Il n’est pas également certain que les revenus tirés de la vente du coton fasse la compensation. Cette situation les exposait en permanence à la famine. Tant qu’ils n’avaient pas une solution palliative, ils se contentaient de subir ce système d’agriculture. La culture de la noix de cajou leur a offert une nouvelle opportunité qu’ils ont saisie.

Au regard des facteurs contraignants évoqués plus haut, les paysans ont vite fait de militer en faveur de la culture de l’anacardier. Elle leur offre plus d’avantage que la culture du coton. Ils ont opéré leur choix en tenant compte des facteurs de production, de la pénibilité des travaux dans la production du coton et du calendrier agricole.

L’avènement de la culture de l’anacardier apparait comme une sorte de délivrance pour les producteurs de coton. Les paysans pensent être sortis d’un esclavage de la CIDT et de ses conseillers agricoles. Dans leur entendement, ils ne travaillaient pas pour eux-mêmes. Physiquement, l’exploitation était leur propriété mais psychologiquement, ils avaient l’impression de l’exploiter pour cette société d’Etat. L’adoption de la culture de noix de cajou apparait comme un moyen de se libérer de l’oppression et de l’oppresseur. C’est ce qu’exprime l’anecdote de cet enquêté âgée de 80 ans, ancien cultivateur de coton et l’un des premiers planteurs d’anacarde à Fronan,

« J’ai fait les funérailles de mon père, de ma mère et de mon frère en 1984. Lorsque je suis allé au champ, le contrôleur a dit qu’il me donne pas de semence parce qu’il faisait trop tard pour semer du coton. J’ai dû mentir pour dire que j’avais déjà fait les billons. Il m’a donné la semence d’un hectare. Quelques jours après, alors que je me reposais, j’ai entendu le bruit du moteur de la moto du contrôleur. J’ai cour u pour me cacher dans la broussaille pour ne pas qu’il reprenne la semence ou qu’il me gronde parce que je n’avais pas encore fini de faire les billons à plus forte raison faire le semis. Est-ce que si j’étais le propriétaire de mon champ j’allais me cacher du moniteur comme un fils qui a commis une faute à la vue de son père ? »

Dans les faits, les agriculteurs de coton étaient tenus de respecter scrupuleusement les consignes des moniteurs agricoles. Un itinéraire technique recommandé (ITR) stipulait la séquence de technique culturale permettant d’optimiser le rendement moyen à l’échelle du pays à partir de la préparation des sols jusqu’aux modalités de récolte en passant par la variété, les modalités de semis, les doses et les modalités d’applications des produits phytosanitaires (Clouvel et al (2007). En fait, la manière de conseiller le producteur s’apparente à une sorte de travail obligatoire. Les modalités d’encadrement sont très rigides. Elles ne laissent pas de place aux idées, aux choix et aux connaissances locales et empiriques des cotonculteurs. Cette approche qui est verticale est faite de menace. Si tel ou tel aspect du conseil n’est pas appliqué, alors le producteur est privé d’intrants par exemple. Si la superficie déclarée en début de saison est augmentée par le producteur, on ne lui donne pas d’engrais ou de pesticides pour entretenir le surplus. Les paysans sont donc obligés de réduire les doses reçues pour la superficie officielle pour pouvoir traiter les espaces clandestins non déclarés. Toute chose qui a bien évidemment une incidence négative sur la qualité de l’entretien et partant sur la rentabilité et la qualité de la production du cotonnier (Le Roy, 1983 et Ouattara, 2013). Les agriculteurs se sentent infantilisés. Aussi, la culture de l’anacarde se présente-t-elle comme un affranchissement des producteurs vis-à-vis des contraintes de l’encadrement fournis par la CIDT. Le paysan en adoptant cette culture prend son indépendance. Grâce à l’anacarde, le paysan a une autonomie de gestion de sa plantation. Ce qui lui donne une liberté de choix et surtout une indépendance vis-à-vis d’une quelconque société d’encadrement (Ouattara, 2013).

Cette liberté se perçoit au niveau des espaces de culture. Le planteur fait autant d’hectares de culture selon ses moyens et selon la disponibilité foncière. Il fait ses plantations selon le temps qui lui convient. Aucune autorité ne peut lui demander de limiter sa superficie. Il choisit également les intrants à appliquer dans ses vergers. Il n’a pas de compte à rendre à qui que ce soit et surtout, personne ne vient contrôler ses champs. Il est le seul maître et le seul responsable de ses choix. D’autre part, la question du calendrier agricole ne se pose plus. La culture de la noix de cajou n’impacte pas négativement celle du maïs. Au demeurant, les revenus de la vente de cajou permettent d’acheter des intrants ou de recruter de la main d’œuvre pour la mise en valeur des exploitations de maïs et les autres cultures destinées à la consommation. Les questions de choix de cultures et celle du calendrier agricole ne se posent plus.

Un des atouts de la culture de l’anacarde demeure le circuit de commercialisation de la production. Dans le système de production à base de coton, la compagnie cotonnière, la CIDT, avait le monopole sur tous les aspects du circuit. A travers ses conseillers agricoles, elle fournissait la semence et tous les autres intrants nécessaires à la production. Elle enlevait la production. Elle procédait à la paie des producteurs. Avec la libéralisation et la responsabilisation des coopératives, ce sont ces dernières qui enlevaient la production pour la vendre aux entreprises d’égrenage mais toujours sous le contrôle de la CIDT. Dans tous les cas, le paysan, en tant qu’individu, ne pouvait écouler sa production dans un autre canal en dehors de celui de la société cotonnière étatique. La seule personne qu’ils connaissaient bien et qui était en contact avec eux était l’agent d’encadrement agricole. La culture de la noix de cajou offre la possibilité aux producteurs de sortir de ce système. Cette nouvelle spéculation agricole leur permet de passer d’un marché virtuel à un marché physique. En effet, les paysans font la transaction directement avec l’acheteur lors de la vente. Ils proposent le fruit de leur travail à l’acheteur de leur choix. De plus, ils ont la possibilité de marchander le prix d’achat avec ce dernier dans un contexte ou le prix d’achat minimum garanti bord champ fixé par le gouvernement est rarement respecté. Ainsi donc, cette culture propose une flexibilité contre la rigidité du système de la culture du coton (Basset, 2017 et Ouattara, 2013).

En somme, les paysans retrouvent les canaux traditionnels d’échange mercantile. Les communautés villageoises sont habituées à commercer au contact physique et dans un espace concret. A défaut d’avoir une grande emprise voire une maîtrise du système de formation des prix, ils le comprennent mieux. Ils ont le sentiment d’être de véritables acteurs de la filière.

  1. Facteurs économiques et structurels de l’adoption de la culture de l’anacarde
    1. Facteurs économiques de l’adoption de la culture de l’anacarde
    2. Facteurs structurels et la pénibilité des travaux dans les exploitations de coton
  2. De la contrainte de l’encadrement agricole à la liberté de prise de décisions
    1. Facteurs psychologiques favorables à la culture de l’anacarde
    2. Fonction sociale de l’anacardier

Faceaux difficultés liées à la culture du coton et au regard de la pauvreté, le village de Fronan a connu l’exode de sa population. Les déscolarisés se rendu dans les villes. Les paysans ont émigré généralement vers les zones forestières du sud de la Côte d’Ivoire. Ces zones de forêt favorables aux cultures du café et du cacao étaient une des destinations privilégiées. La Côte d’Ivoire ayant opté de baser son développement sur l’agriculture, ces deux spéculations constituent les mamelles de son économie. Les revenus tirés de la vente du Cacao et/ou du Café étaient nettement plus intéressants que ceux du coton. Ainsi, les paysans qui avaient quitté le village pour s’adonner à ces cultures ont réalisé des investissements relativement importants à Fronan. Ces actions ont conféré une estime et un statut social important à ces planteurs. Pour ce faire, le village s’est presque dépeuplé de ses bras valides parce que chacun voulait acquérir ce statut. Les propos de cet enquêté sont révélateurs de cette réalité.

« Avant, toutes les maisons ‘‘en dur’’ du village étaient le fait des ‘‘planteurs’’ . Il était rare de voir des cultivateurs de coton construire de telles maisons. C’est pour cela que tous les jeunes voulaient aller en basse côte pour se faire des champs de cacao pour pouvoir avoir de l’argent»

En réalité, bâtir une maison par exemple était un luxe que de nombreux producteurs de coton ne pouvaient s’offrir. Il fallait être un « planteur » pour le faire. Aussi, l’anacardier est assimilé au café et le cacao. Certains observateurs l’on présenté comme le café et le cacao du Nord du pays (Basset, 2017). Avec cette culture, les agriculteurs n’ont plus besoin de migrer vers d’autres régions du pays pour réaliser leur rêve de devenir ‘‘planteur’’. Ils ne sentent plus le besoin de partir du village. Ils se sont sédentarisés. Selon certains enquêtés, en peu de temps d’existence à Fronan, l’anacarde a permis à certains producteurs d’acquérir beaucoup plus de biens qu’en plusieurs années de culture de coton. Grâce à cette culture, leurs revenus agricoles sont plus élevés. Cela se perçoit au nombre de maisons, à l’architecture des habitations ainsi qu’à leur confort, le nombre important de motos dans les rues et sur les pistes conduisant dans les champs. A ce propos, un enquêté dit ceci :

« Aujourd’hui, dans notre village, j’ai des amis qui ont acheté des voitures. J’en connais deux à Offiakaha , un à Nienankaha et un autre à Souroukaha . Est-ce que quand on cultivait le coton on pouvait acheter pneu de voiture. Quand on achetait un vélo, c’est tout notre argent de la récolte du coton de cette année-là qui était utilisée. L’anacarde à arrangé notre village »

Ces propos montrent que les paysans n’auraient jamais imaginé de se procurer ces biens lorsqu’ils pratiquaient l’agriculture cotonnière. Ainsi, les opportunités que leur offre les revenus issus de la vente des noix de cajou ont joué un rôle important dans son expansion.

Sur le plan social, le planteur peut aisément faire face à ses engagements sociaux tels que la santé, la scolarisation des enfants (Sinan et N’dri, 2016) et les funérailles notamment. En effet, la flexibilité dans la culture de l’anacarde permet à l’agriculteur de disposer de sa production à sa guise. Cela lui facilite certaines transactions mercantiles. Ainsi, il peut obtenir des préfinancements pour son exploitation. Il peut également bénéficier de crédits auprès des acheteurs pour acquérir un bien matériel ou pour faire face à une charge sociale urgente et imprévue. Voici ce qu’en dit cet enquêté :

« Lorsque mon père est décédé c’est mon acheteur qui m’a prêté de l’argent pour faire les funérailles. Personne n’a su que je n’avais pas d’argent pour faire face aux dépenses. Au moment de la vente de la récolte, c’est à lui que j’ai livré ma production. Il a retiré son argent et m’a remis le reste »

La culture de l’anacarde constitue donc une sorte de garantie. Comme c’est une culture pérenne, elle devient en quelque sorte une assurance-vie. Elle sert de couverture ou de sécurité sociale pour le producteur. Dans la mesure où généralement ils sont en contact avec les pisteurs ou les acheteurs, les paysans peuvent contracter avec ceux-ci. Les seules conditions sont que la production devra être livrée au prêteur et achetée au prix auquel ils étaient convenus au moment du prêt. En plus de cet avantage, elle confère un prestige social. Le calendrier agricole a également été un élément un favorable à l’acceptation de la culture de la noix de cajou. La culture de l’anacardier s’intègre bien au système agricole des paysans. Il n’est pas en conflit avec les autres cultures. Cette agriculture de plantation a permis un gain de temps. Une fois que la plantation est créée, il ne reste que l’entretien du verger. Cela intervient généralement deux fois dans l’année. Les travaux d’entretien sont moins pénibles. Un enquêté dit ceci :

« Lorsque nous coupons les mauvaises herbes sous les anacardiers, nous sommes à l’ombre. Lors de la récolte des noix de cajou, nous sommes toujours à l’ombre. Donc, avec l’anacarde on travaille à l’ombre. Pourtant, avec la culture du coton, nous travaill i ons sous le soleil et cela nous rendait malade »

La durée de temps affecté à l’entretien dans les champs a diminué. Ce temps est consacré à certaines autres cultures notamment les cultures vivrières et/ou maraîchère. D’autres utilisent ce temps pour honorer les activités sociales et culturelles.

La culture de l’anacarde présente du point de vue social des avantages. Elle permet aux producteurs d’avoir un statut social à travers des symboles. Les gains générés permettent de bâtir des maisons, de faire face aux charges des funérailles par exemple. D’autre part, le calendrier agricole est favorable aux producteurs car les travaux dans les plantations d’anacarde leur permettent de consacrer du temps à d’autres activités agricoles. Enfin, l’utilisation des intrants chimiques surtout les herbicides réduit l’intensité et la pénibilité des travaux.

Discussion

Les résultats de l’étude ont révélé plusieurs facteurs explicatifs du choix de l’adoption de la culture de l’anacarde par les agriculteurs de Fronan. On peut noter que ces raisons sont essentiellement d’ordre structurel, économique, social et psychologique.

Sur la question économico-structurelle, la littérature existant sur l’historique de la culture de la noix de cajou, indique que c’est autour des années 1990 que la culture l’anacardier a pris des proportions importantes en termes de surfaces cultivées. Selon Ouattara, les premiers producteurs d’anacarde de Fronan se sont inspirés des agriculteurs du département de Dabakala qui est un département de la région du Hambol dont le chef-lieu de région est Katiola. En effet, ce sont les prix attractifs qui ont intéressé les agriculteurs qu’on peut appeler les précurseurs. Ces derniers ont à leur tour inspiré leurs voisins dans les champs (Ouattara, 2013). Selon cet auteur, l’expansion de cette culture à Fronan a bénéficié de facteurs conjoncturels favorables. L’intérêt pour l’anacardier intervient dans un contexte de mévente du coton graine. Basset (2002) confirme cette idée. La baisse des cours mondiaux a une incidence sur le prix d’achat du kilogramme bord champ qui connait à son tour une forte baisse. En plus de cette réalité mondiale, la production de coton dans la zone de Fronan rencontre des problèmes de qualité. Ouattara, (2013) a montré que la quantité de production de coton dit de second choix a connu une grande hausse du fait du non-respect des consignes des conseillers agricoles. La combinaison de ces deux éléments a une incidence négative sur les revenus de producteurs. Ainsi, leurs gains diminuent. Or le coton est la seule culture d’exportation de cette localité. Cette situation les plonge dans une précarité dans la mesure où leurs revenus ne leur permettent plus de faire face à la gestion de leurs charges sociales. La solution à cette problématique est de diversifier les sources de revenus. Cet environnement est favorable à l’adoption de la culture de l’anacarde (Ouattara, 2013). Cette même étude a mis en exergue les disfonctionnements des GVC dans la zone. Les conseils d’administrations de ces groupements agricoles ne faisaient pas de bilan à leurs membres. Toute chose qui renforçait les soupçons et la crise de confiance des coopérateurs. Les membres du bureau n’étaient pas bien formés. En dehors du secrétaire général et du comptable, la plupart des membres clé de ces groupements n’étaient pas alphabétisés (Ouattara, 2013).

D’autre part, Koffi et Oura ont également permis d’avoir des pistes de réponse sur l’intérêt des agriculteurs pour la culture de l’anacarde. Parlant des facteurs de l’adoption de l’anacarde, ces auteurs ont relevé plusieurs raisons qui sont en rapport avec le foncier et l’économie notamment. Ces auteurs ont mis en exergue les éléments économiques tels que les marges brutes de l’anacarde supérieures à celles du coton, la faible quantité de travail, les retards dans le paiement de la production de coton ainsi que le prix d’achat bord champ de l’anacarde supérieur à celui du coton (Koffi et Oura 2019). Ainsi, cela se traduit sur le terrain par la réduction des superficies dédié à la culture du coton au profit de celle de l’anacardier. En termes de superficie cultivée, à Katiola par exemple qui est la zone de la présente étude, ces auteurs ont remarqué que 61% des surfaces agricoles sont dédiées à la culture d’anacarde. Le reste, 39% est partagé entre le coton et les cultures vivrières traditionnelles (Koffi et Oura, 2019). Quant aux revenus, il ressort de la même étude et dans la même zone que la part du coton constitue pour 20% à la formation des revenus des paysans tandis que celle de l’anacarde est de 80% (Koffi et Oura, 2019). Ils en concluent que l’adoption de cette culture fait partie de la stratégie de diversification des revenus agricoles. Pour autant, Koffi et Oura (2019) estiment qu’en dehors du facteur économique, les paysans sont mus par leur rapport à la terre. Pour eux, l’adoption de la culture de l’anacarde est une occasion pour les agriculteurs de marquer les terres. En effet, dans une zone ou les cultures étaient saisonnières et le pouvoir du chef de terre très fort, les paysans trouvent en cette culture la possibilité de concerver des droits sur les terres qu’ils exploitent.

Sur le plan structurel, Basset, explique le « boom de l’anacardier » dans le bassin cotonnier par la structuration du marché et les prix à la production. Pour lui, la culture de la noix de cajou évolue dans un environnement plus concurrentiel. Quant à celui du coton, il est non concurrentiel car il s’organise autour d’un nombre d’entreprise qui exercent dans des zones qu’on peut qualifier d’exclusive. Les prix du coton sont fixes alors que ceux de la noix de cajou varient en fonction de la demande (Basset, 2017). Ce constat a été également fait par Ouattara (2013) qui a remarqué que l’écoulement de la production de l’anacarde s’adapte au marché traditionnel local dans la zone de Katiola.

Clouvel et al, parlant de l’encadrement de la filière cotonnière disent que sa gestion était intégrée de la période coloniale jusqu’aux années 1970 avec la mise en place des organisations paysannes. Dans ce mode d’organisation, toutes les étapes de la production, du crédit jusqu’à la commercialisation en passant par la transformation, sont assurées par une seule entité appelée la Société de développement cotonnière (Sode). Dans cette vision, les concepts et ITR des agronomes conçus pour les pays du Nord sont appliqués dans les pays du sud dans un contexte culturel différents. Cependant, ils constatent que évolution suite à la libéralisation dans la mesure où les producteurs s’approprient et appliquent d’autres techniques plus flexibles et adaptées à leur environnement économique et social Clouvel et al (2007).

Pour Badouin, l’encadrement agricole en Afrique est important pour le développement agricole. Elle doit se baser sur une vulgarisation des résultats des structures de recherche agronomique. C’est pour cela que cet auteur insiste sur le rôle primordial de l’agent de vulgarisation. Ce dernier doit non seulement bénéficier de « connaissances techniques » mais doit également pouvoir avoir des aptitudes à « prendre contact avec la population ». Cela n’a pas toujours été le cas (Badouin, 1965). La présente étude a montré que les agents d’encadrement agricole étaient plutôt rigides. Ce comportement a donné l’impression que les agriculteurs n’étaient maîtres de leurs exploitations.

Sur le même sujet, Koné dans son étude sur l’encadrement agricole en Côte d’Ivoire, révèle de nombreuses insuffisances tant au niveau scolaire, la formation et le comportement des agents. En effet, pour elle, l’inefficacité de l’encadrement agricole est en partie liée au faible niveau scolaire des agents d’encadrement, leur faible formation professionnelle et leur incompétence technique. Ensuite, elle pointe du doigt leur complexe de supériorité et leur manque de modestie. Enfin, l’absentéisme et l’indisponibilité des encadreurs est également une cause de la faiblesse de l’encadrement(Koné, 1994). Cette position de Koné rejoint celle de Badouin (1965) qui propose une connaissance du milieu et un sens de contact des agents de vulgarisation agricole.

En plus des déterminants cités plus haut, il faut y ajouter des facteurs sociaux. Une étude de Sinan et N’dri (2016) sur l’impact de la culture de l’anacardier à Odiénné a montré que les planteurs en tirent des avantages sociaux. Ces auteurs ont pu montrer que grâce à cette culture les paysans peuvent aisément faire face à leurs engagements sociaux. Selon eux, les charges liées à la santé, à la scolarisation des enfants sont allégées grâce à la vente de la noix de cajou. Cet article a noté également l’amélioration du cadre de vie des agriculteurs. Ces résultats mettent en relief la capacité des paysans à décider de ce qui est en avantageux pour eux malgré l’action de l’Etat ivoirien de développer simultanément les cultures du coton et de l’anacarde sur le même espace.

Conclusion

L’adoption et l’expansion de la culture de la noix de cajou à Fronan a été possible grâce à la conjugaison de nombreux facteurs extérieurs comme inhérents aux paysans. La baisse des cours mondiaux a eu une incidence négative sur les prix d’achat bord champ du kilogramme de coton graine. Cela a créé une crise de confiance entre les responsables des organisations agricoles et leurs membres. La faiblesse dans l’approche de l’encadrement agricole par la CIDT a donné aux producteurs l’impression comme s’ils étaient dans un système de servage. D’autre part, les difficultés de gouvernance des coopératives n’ont pas milité au maintien d’un environnement agricole propice. Les paysans étant dotés de logique n’ont pas hésité à abandonner la culture du coton au profit de la culture de l’anacarde. En effet, du point de vue économique, social et psychologique, les agriculteurs de Fronan étaient presque prédisposés à ce type de culture au regard de la pénibilité des travaux dans les champs cotonniers et surtout à leur envie de migrer vers les zones forestières. Finalement, s’il est vrai que du point de vue économique cette culture a des retombées positives indiscutables sur le développement du village de Fronan, il est à s’interroger sur l’impact de cette nouvelle économie de plantation dans une région de savane. L’adoption et l’expansion de ce type d’agriculture ne remettra-t-elle pas en cause les rapports fonciers traditionnels et le statut de la terre. Des recherches futures permettront d’obtenir des réponses à ces problématiques.

Références

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